carte ambassadeL’album a été écrit en Roumanie pendant mon service militaire à Bucarest.

En Europe, mais loin de l’Angleterre et de la France. J’avais envie d’une œuvre continentale qui serait déplacée vers le centre, avec sous les yeux un imaginaire différent : Brancusi, Tzara, Cioran, les bâtiments inspirés par le Bauhaus…

On peut toujours raconter quelque chose d’intéressant avec ce qui nous entoure.

Je voulais m’inspirer directement de la musique classique plutôt que des arrangements des groupes pop : éviter l’auto-référencement, la consanguinité. J’avais étudié au conservatoire et je voyais une richesse sous-exploitée dans le classique.

Pour moi à l’époque, la britpop était une descendance dégénérée des 60’s. Je voulais aussi qu’il y ait un côté sentimental et personnel comme chez les Beach Boys.

BijourJ’ai commencé à écrire avec un piano droit art déco (lignes fluides et motifs floraux) loué à l’opéra de Bucarest. Je vivais dans un petit appartement délabré – notamment à cause d’un tremblement de terre qui avait ravagé la ville en 1942, et travaillais au service culturel de l’ambassade de France. Dans une ruelle, je suis tombé sur un vieux photographe qui a réalisé le portrait que j’ai utilisée pour mon passeport roumain.

Au début je voulais enregistrer avec des musiciens classiques à la maison de la radio de Bucarest. J’ai visité leurs locaux, il y avait une grande pièce pour orchestre mais les tarifs qu’ils m’ont annoncé étaient complètement délirants.

Avant ce séjour en Roumanie j’avais vécu à Londres pendant une année; j’étais voisin de Sean O’Hagan.

C’était en 95-96. J’ai rencontré Lætitia Sadier et Sean dès les premières semaines. Ils avaient réussi à réellement intégrer les Beach Boys dans leur musique, sans honte de cette influence, et sans passéisme. J’avais le sentiment que c’était les seuls à être en accord avec mon point de vue. Je peux dire que j’ai déménagé à Londres uniquement pour provoquer cette rencontre.

Je leur ai donc donné une cassette après un concert des High Llamas où Laetitia était présente.

Sean l’avait perdue mais Lætitia a insisté pour qu’il l’écoute. Du coup elle m’a appelé et donné rendez-vous dans un pub à Forest Hill, avec Martin Pike, le manager de Stereolab et de Sean.

Sean m’a dit qu’il voulait produire un mini LP sur son propre label, Alpaca Park, et Laetitia m’a proposé qu’on partage un split single pour Junior, le fanzine de Jean-Philippe Talaga.

J’étais content…

Malheureusement Sean a eu des difficultés avec Sony ou V2 et a dû renoncer à investir dans cette idée. C’était pourtant à l’époque de Hawaii3, qui a pas mal marché. Il devait produire l’album des Beach Boys et m’a raconté cette rencontre, c’était fascinant. J’ai cru comprendre que Brian Wilson l’avait accueilli chez lui en suçant son pouce avec une couverture-doudou.

Yann Tiersen a encouragé Ici d’Ailleurs à me signer, il avait même je crois annoncé dans une interview pour Magic qu’il produirait l’album.

Stéphane Grégoire, le fondateur du label, distribuait mon premier EP quand il travaillait à Semantic et ce disque s’était très bien vendu, notamment au Japon et aux USA. Il sentait tout simplement que ça pouvait marcher.

Il y avait un parrainage déjà connu de mes amis anglais, donc un peu de buzz en France. Il avait eu vent que Virgin/Labels étaient très motivés et voulait faire tampon pour leur proposer une licence.

Il m’a fait découvrir Moondog, Carla Bley et Charlie Haden lorsque j’écrivais l’album, ça m’a beaucoup marqué.

Les producteurs français expérimentés qu’on me présentait ne comprenaient pas qu’on s’intéresse de cette façon très frontale aux Beatles, aux Beach Boys ou aux années 60 et 70 en général. Pourtant Stereolab était déjà engagé là-dedans, ce qui me faisait penser qu’il fallait suivre mon intuition et foncer, donc assumer pleinement mélodie, harmonies vocales, arrangements et production.

Je ne voulais surtout pas me retrouver avec des batteries «autoroute» et des sons qu’on entendait partout dans l’indé français à l’époque.